Titre: Transhumant – Année: 2019 – Lieu: Saghrou (Maroc) – Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
SUR LE LONG PARCOURS : Aït Atta, les transhumants du Haut Atlas, Maroc
C’est comment d’être un individu au sein d’une tribu ? Cela fait quoi étant donné que, dès sa naissance, on appartient à une communauté plus large de pasteurs transhumants ? Qu’est-ce que cela fait quand on gravit les montagnes de l’Atlas en direction de l’agdal d’Igourdane, commun pastoral où l’on retourne chaque année, dans un voyage qui n’a jamais changé autant que s’en souvienne la mémoire du sang ? Lorsqu’il n’y a que toi, ta tribu, ton troupeau, et l’immense nuit africaine ?
Là-haut, on semble souvent être moins singulier, et plus une partie significative d’un tout.
Titre: Localisation des pâturages d’altitude d’Igourdane et des principaux parcours de transhumance
Année: 2021
Lieu: Igourdane (Maroc)
Auteur & Droits: Pablo Domínguez (encadré avec permission de Google Earth Engine).
Titre: Les agdals communautaires à travers les saisons
Année: 2019
Lieu: Igourdane (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
Tout au long des déplacements saisonniers des pasteurs, vers les hauteurs à la fin du printemps, vers les plaines et vallées en automne, les paysages de l’agdal se transforment radicalement, enneigés en hiver, verdoyants avec l’herbe vibrante au printemps, et entièrement broutés à la fin de l’été. Grâce à une organisation collective et à l’interdiction de paître lors de certaines périodes clés qui permettent le renouvellement des pâturages et leur revitalisation chaque année !
Ta maison
Ta maison n’est pas à toi, elle appartient à la Terre
Titre: Liens bioculturels
Année: 2019
Lieu Saghrou (Maroc)
Auteur & Droits: Eda Elif TIBET
Au sein de l’agdal, la Terre semble aussi précieuse qu’elle l’a toujours été.
L’agdal est une forme de « bricolage » diffus, dont le nom révèle son secret. Répandu à travers l’ensemble de l’Afrique du nord-ouest,le terme agdal est dérivé de la racine berbère « GDL » qui peut recouvrir diverses significations telles que « protection », « interdiction », un « territoire » en soi, voire l’action de « paître ». Dans le Haut Atlas, il se réfère le plus souvent à un ancien système de gouvernance de la ressource communautaire, mais aussi au territoire protégé lui-même : quel homonyme révélateur !
Igourdane est l’un de ces vastes agdals pastoraux d’altitude, d’une superficie de plus de 4 000 ha (40 km2), géré collectivement par trois tribus. Chaque année, ces tribus décident de fermer l’agdal au pâturage au mois d’avril, et de ne pas l’ouvrir avant le début du mois de juin, permettant ainsi la régénération de la végétation. Quel exploit ! Il implique que tous se réunissent pour prendre des décisions pour le bien commun de l’ensemble de la tribu, alors que dans nos sociétés fortement consommatrices, nous sommes souvent incapables de nous mettre d’accord, voire même parler, entre voisins d’une même ruelle ! En moyenne, 250 familles appartenant aux trois tribus et 80 000 animaux habitent l’agdal pendant l’été, tirant profit de la patience et la discipline dont ils ont fait preuve au printemps lorsqu’ils ont été interdits d’entrer sur les pelouses verdoyantes et fleurissantes afin de leur permettre de bien pousser, pour le bien de la collectivité.
Ton nom
Ton nom n’est pas à toi, il appartient au groupe
Titre: Trois générations. La famille Ben Youssef
Année: 2019
Lieu: Saghrou & Nkob (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
Aït M’hamed, Aït Bouguemez et Aït Atta : ce sont les noms des trois tribus qui mettent en agdal l’Igourdane. Les deux premières vivent relativement proches d’Igourdane. Mais la troisième s’engage chaque année dans un voyage ardu de 150 km à pied pour monter et descendre l’agdal. Ces tribus ont suivi le rythme des saisons depuis des générations, dans un effort concerté qui exige de chaque individu qu’il se soumette et se conforme à la volonté collective.
La plupart des Aït Atta laissent leurs enfants en ville chez des parents jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de pouvoir se joindre aux autres membres de la famille, dans un destin que beaucoup d’entre eux accompliront de manière cyclique jusqu’au terme de leur existence. Les mères et les pères accompagnent ce parcours vers les hauteurs. Se déplacer ensemble en tant que destin, l’oubli comme nécessité. Il est quasiment impossible pour quelqu’un qui n’a pas grandi avec cette vision profonde des pâturages d’imaginer même ce que cela représente de devenir un élément pleinement intégré de cet ensemble.
Titre: Aït Atta: nomades du Haut Atlas
Année: 2020
Lieu: Haut Atlas (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ, Eda Elif TIBET & KARMAMOTION
Site web: https://www.karmamotion.com/aitatta
Ton corps
Ton corps n’est pas à toi, il appartient au troupeau
Titre: Nuits blanches
Année: 2019
Lieu: Haut Atlas central (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
Les chèvres, les chameaux, les humains, les pistes, les montagnes, les vallons, les herbes, les pluies. Tous ont le même poids dans l’air fin de l’agdal. Les humains ont abandonné depuis des lustres toute prétention de pouvoir maitriser les éléments. La nuit, ce sont les bergers qui doivent mettre terme à leurs rêveries pour aller rassembler les animaux de leurs troupeaux afin de les empêcher de se disperser dans la faible lumière de la lune, sous les étoiles qui percent le ciel noir de leurs yeux scintillants.
Titre: L’eau c’est la vie
Année: 2019
Lieu: Saghrou (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
Là-haut, dans les montagnes présahariennes, on peut faire un pas en arrière par rapport à nos besoins habituels et accorder plus de place aux pulsions humaines primordiales : la faim, la fatigue, la soif. La topographie et le climat de ces régions pastorales les rendent difficiles d’accès ; c’est donc la présence ou l’absence de l’eau qui est à la base de toute décision. Comme l’affirme l’ancien proverbe Amazigh/Berbère : aman ilman (l’eau c’est la vie).
Titre: Connaissances partagées
Année: 2019
Lieu: Dades (Maroc)
Auteur & Droits: Inanç TEKGÜÇ
Mais on ne peut pas satisfaire ces pulsions tout seul. Là-haut, dépasser les notions de liberté individuelle, si sacrées dans la culture occidentale urbaine, est une libération. Mais ici, les bergers se réjouissent de se laisser aller, de se laisser guider vers les pâturages par d’autres de leur groupe.
Les agdals, s’ils sont gérés correctement, sont connus pour leur importante contribution à la conservation socio-écologique, à plusieurs titres : en réduisant la pression pastorale, en favorisant le cycle reproducteur de la végétation, en conservant des races traditionnelles d’animaux ainsi qu’une culture unique et intangible, en enrichissant la biodiversité globale et en assurant la protection d’autres ressources naturelles telles que l’eau et les sols.
Mais ils sont menacés.
Toute une série de difficultés, en lien aussi avec le changement climatique, comme le difficile maintien d’un mode de vie pastoral, les conditions rudes et fortement variables, le contexte socio-économique changeant avec très peu d’aide de la part de l’État, tout cela contribue au recul des pratiques d’agdal. Ces systèmes sont en régression, avec de moins en moins de familles et d’animaux qui s’engagent chaque année dans la transhumance vers les pâturages, et avec les nouvelles générations qui ne souhaitent pas continuer tant que prédomine la dureté des conditions de cette vie pastorale.
C’est là que notre responsabilité doit s’engager. Nous devons contribuer à créer les conditions qui permettront à ces tribus d’Afrique du nord de maintenir Igourdane comme le magnifique agdal qu’il est encore aujourd’hui, avec ses valeurs naturelles et culturelles uniques, car aucune vie consacrée à la durabilité ne peut devenir insoutenable !
Remerciements
Nous souhaitons remercier les membres de la famille Ben Youssef qui ont partagé avec nous leur voyage et leurs traditions, ainsi que KARMAMOTION qui a filmé et assuré la coproduction afin de faire de ce voyage époustouflant un film documentaire. Nous signalons aussi la contribution de la communauté locale d’Ait M’hamed et de ses dirigeants, l’Association pour le Développement des nomades du Saghro, l’équipe GDF-MBLA dans son ensemble ainsi que la fondation MAVA et l’Initiative Darwin pour leur soutien financier tout le long de ce voyage.
Texte et composition par Eda Elif TIBET, Pablo DOMINGUEZ, Pommelien DA SILVA, Inanç TEKGÜÇ, Soufiane M’SOU, Ugo D’AMBROSIO et Emily CARUSO.